LE SECRET MÉDICAL ET LES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE
Désormais la levée du secret médical est possible dans le cadre du signalement de violences au sein du couple à l’encontre d’une personne adulte si deux conditions sont réunies :
1° - Lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat ;
ET
2° - Lorsque la victime se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.
Repérer les victimes de violences au sein du couple est un acte médical. Vous êtes de ce fait des interlocuteurs privilégiés. Vous êtes en première ligne pour donner la parole à la victime et la questionner dans le cadre du climat de confiance que vous aurez instauré avec votre patient. La victime doit savoir que vous êtes à son écoute.
POINT SUR CE QUE DIT LA LOI
La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, a ajouté un troisième alinéa à l’article 226-14 du Code Pénal, qui prévoit désormais que les dispositions relatives au secret médical, énoncées à ‘article 226-13 du même Code ne s’appliquent pas :
« au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance
du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 (de ce même Code), lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ».
Cette loi ne crée pas une obligation de signalement pour le médecin mais elle lui permet de le faire sans risque d’être accusé de violation du secret professionnel auquel il est tenu.
Vous constaterez que ces nouvelles dispositions précisent que :
1° - Le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ;
2° - En cas d’impossibilité d’obtenir cet accord il doit l’informer du signalement qu’il va effectuer auprès du procureur de la République.
Le médecin peut donc signaler les violences commises au sein du couple (conjoint, concubin, partenaire lié par un PACS actuel ou passé, même sans cohabitation des membres du couple) SANS l’accord de la victime majeure lorsque toutes ces conditions sont remplies :
- Danger immédiat de la personne majeure faisant craindre une issue fatale,
- Emprise de la victime par l’auteur des violences,
- Tentative d’obtenir l’accord de la victime,
- Information de la victime du signalement au procureur de la République).
Il appartient donc au médecin d’apprécier si les violences mettent en danger immédiat la vie de la victime majeure ET si celle-ci ne peut se protéger en raison de contraintes morales résultant de l’emprise de l’auteur des violences.
CRITÈRES D’ÉVALUATION DU DANGER IMMÉDIAT ET DE L’EMPRISE
Un danger est une situation où une personne est menacée. Le péril suppose « un risque » majeur qui doit être constant et imminent.
Un risque est l’éventualité d’un évènement futur qui est, par voie de conséquence, incertain.
L’urgence se comprend autour des préjudices et par la perte de chance que peut induire tout retard. Tout ce qui est urgent requiert une action et une décision immédiate. En droit c’est le caractère « d’un état de fait susceptible d’entraîner un préjudice irréparable s’il n’est pas porté remède à bref délai ».
L’emprise est une ascendance qui peut être intellectuelle ou morale, exercée sur en tiers. C’est un processus de dépossession. Toute emprise induit un rapport de domination qui peut aller jusqu’à l’asservissement.
Elle peut être :
- Morale (liée à un comportement autoritaire et agressif) ;
- Mentale (mise sous sujétion progressive, elle existe dans les mouvements religieux ayant un caractère sectaire) :
- Affective (état de dépendance avec instrumentalisation et perversion des sentiments) ;
- Économique (induit une dépendance) ;
- Intellectuelle (infantilisation du partenaire) ;
- Physique.
Une contrainte est une violence physique ou morale exercée contre une personne afin de l’obliger à agir contre sa volonté et contre elle-même. La notion de contrainte morale, dans le cadre de violences au sein du couple, souligne l’impossibilité de la victime à s’extraire de la relation et d’une situation perverse.
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Comment le médecin peut-il apprécier en conscience :
- si les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat ?
- si la victime n’est pas en mesure de se protéger en raison d’une contrainte morale ?
Un outil d’aide à l’évaluation de la situation, qui ne doit pas faire l’objet d’une transmission et qu’il est préférable de garder dans le dossier de la victime, a été élaboré.
Certains éléments sont à considérer comme des signaux d’alerte :
LES QUESTIONS CONCERNANT LE DANGER :
- La victime fait-elle état d’une multiplicité des violences verbales, physiques, sexuelles ou psychologiques, ou d’une augmentation de ces violences ?
- Le partenaire de la victime est-il informé d’un projet de séparation ?
- En cas de séparation l’ancien partenaire cherche-t-il à connaitre la nouvelle adresse de la victime ?
- La victime évoque-t-elle des violences de son partenaire ou de son ancien partenaire envers ses enfants ?
- Les enfants sont-ils utilisés pour faire du chantage ?
- La victime craint-elle des violences envers elle ou ses enfants ?
- La victime est-elle enceinte ou a-t-elle un enfant de moins de deux ans ?
- La victime évoque-elle des éléments d’incitation au suicide par son partenaire ou ancien partenaire ?
- La victime signale-t-elle une interdiction (ou empêchement) de sortir de chez elle ?
- La victime signale-t-elle que son partenaire ou ancien partenaire consomme de l’alcool, des drogues et/ou des médicaments ?
- Le partenaire ou ancien partenaire a-t-il des antécédents psychiatriques ?
- La police ou la gendarmerie est-elle déjà intervenue ?
- Le partenaire a-t-il déjà eu des altercations avec la police ou des antécédents judiciaires ?
- La victime a-t-elle reçu des menaces de mort directement à elle ou à ses enfants de la part de son partenaire ou ancien partenaire ?
- La victime déclare-t-elle que son partenaire ou ancien partenaire possède des armes à feu ?
LES INDICES CONCERNANT LE DANGER IMMÉDIAT OU IMMINENT :
- Le patient a des blessures pouvant être liées à des sévices ou des mauvais traitements ou se scarifie ;
- Le partenaire a déjà prononcé des menaces de mort vis-à-vis du patient ;
- Les violences augmentent en intensité et en fréquence ;
- Les forces de l’ordre sont déjà intervenues au domicile pour des violences de couple ;
- Le partenaire est connu pour avoir déjà commis des violences de couple ;
- Le partenaire fait un chantage au suicide ;
- Le couple est en période de séparation ;
- Le patient est dans un état dépressif ;
- La patiente est enceinte ou en couches ;
- Le partenaire a des addictions ;
- Le partenaire est détenteur d’armes ;
- Le partenaire souffre de pathologies psychiatriques ;
- Le partenaire est connu pour ses comportements violents.
LES QUESTIONS CONCERNANT L’EMPRISE :
- La victime déclare-t-elle des propos dévalorisants, dégradants, humiliants ou injurieux de la part de son partenaire ou ancien partenaire ?
- La victime se sent-elle sous surveillance permanente ou harcelée moralement et/ou sexuellement, existe-t-il des mails, SMS, lettres etc…
- La victime dispose-t-elle librement de son temps ?
- La victime se sent-elle déprimée ou « à bout », sans solution ?
- La victime s’estime-t-elle responsable de la dégradation de la situation ?
- La victime fait-elle part de menaces ou de tentative de suicide de son partenaire ?
- Y-a-t-il une situation de dépendance financière ?
- La victime peut-elle disposer librement de son argent ?
- La victime se voit-elle confisquer des documents administratifs (papier d’identité, carte vitale etc…) ?
- La victime est-elle dépendante des décisions de son partenaire ? Ses choix sont-ils entendus ou ignorés ?
- La victime est-elle l’objet d’un contrôle sur ses activités et comportement quotidien (vêtement, maquillage, sorties, travail etc…) ?
LES INDICES CONCERNANT L’EMPRISE :
- Dévalorisation et dégradation de l’estime de soi et de l’identité ;
- Signes d’anxiété, de dépression, de fatalisme, résignation ;
- Sentiment d’isolement et d’abandon ;
- Expression de peur pour soi ou pour les proches (enfants par exemple) ;
- Sentiment d’insécurité ou de terreur ;
- Se sentir coupable (dans le cadre de manipulations liées au suicide) ;
- Isolement social ou éloignement des proches, relation exclusive ;
- Intimidation par des menaces, des actes, des paroles, sentiment de terreur ;
- Harcèlement de toute sorte ;
- Contrôle allant de la surveillance à l’aliénation ;
Bien entendu ces listes n’ont aucun caractère exhaustif.
LE SIGNALEMENT JUDICIAIRE
Le Ministère de la Justice et le Conseil National de l’Ordre des Médecins ont élaboré une fiche de signalement, qui doit être transmise au procureur de la République dans le cas de violences conjugales concernant un majeur (en copie ci-jointe).
Ce signalement judiciaire est bien entendu soumis aux règles rédactionnelles de prudence :
- Les déclarations de la victime doivent être retranscrites entre guillemets et ne comporter aucun jugement ni interprétation de votre part ;
- L’examen clinique doit être précis (lésions physiques, siège, caractéristiques ainsi que l’état psychique de la personne) là encore sans interprétation ;
- Le signalement mentionne l’accord ou non de la personne ;
- Si la victime persiste à ne pas donner son accord malgré vous efforts pour l’obtenir, vous devez l’informer du fait que vous effectuez néanmoins ce signalement au Procureur de la République.
Le signalement doit être adressé directement au procureur de la République du territoire où les faits se sont déroulés, par courrier électronique :
L’objet du courrier électronique devrait être de préférence :
« Urgent signalement médical : violences conjugales ».
Le parquet doit vous adresser en retour un accusé de réception afin de vous assurer de la prise en compte de votre signalement. Vous devez conserver cet accusé de réception dans le dossier de la victime.
Un contact téléphonique peut également être établi avec la permanence du Parquet afin d’exposer les particularités de certaines situations.
Le médecin ne participe pas à la recherche de la vérité judiciaire. Il ne s’agit pas de constituer des preuves dans l’optique d’un procès répressif mais de donner des indices pour qu’une évaluation croisée de la situation soit réalisée et les secours adaptés.
LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN QUI SIGNALE
La responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du médecin qui effectue un signalement dans les conditions indiquées ne peut être engagée, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi.
LA PROTECTION DU MÉDECIN QUI SIGNALE
La gestion du risque des représailles envers le médecin signalant est bien entendu un problème qui risque de se poser et qui ne doit pas être occulté.
Dans le cas où vous craindriez de faire vous-même l’objet de violences ou de représailles en raison du signalement que vous avez effectué, vous devez en informer le parquet dans le corps du courrier électronique en précisant les motifs qui justifient votre inquiétude et en mentionnant vous coordonnées complètes (numéro de portable notamment).
Le magistrat de permanence ou le service d’enquête saisi entrera en contact avec vous pour vous informer des actions à réaliser concernant votre sécurité.
En cas de danger immédiat vous devez composer le 17 afin d’entrer en relation avec les services de secours de la zone géographique.
LA PRISE EN CHARGE DE LA VICTIME EN URGENCE
Le procureur – s’il l’estime nécessaire – saisit en urgence l’Association d’Aide aux Victimes agréée, et propose un accompagnement adapté à ses besoins (mise en sécurité de la victime et des enfants, information sur ses droits etc…)
L’Association tient informé le Procureur de son action et de la mise en sécurité de la victime ou de son impossibilité d’entrer en contact avec elle voire de son refus.
Des investigations sur la responsabilité de la personne mise en cause (expertises psychiatriques, garde à vue etc…) seront enclenchées.
Une évaluation de la nécessité d’une éviction du domicile conjugal pourra être envisagée.
En cas de classement sans suite : la décision sera communiquée à la victime. Une ordonnance de protection en lien avec l’Association d’Aide aux Victimes pourra cependant être mise en place.
Si les faits paraissent constitués : la victime sera informée sur l’orientation de la procédure (choix du mode de poursuite, mesures de sûreté etc…).
Dispositifs des mesures de protection : ordonnance de protection, téléphone grave danger (TGD), éviction du conjoint violent, bracelet anti-rapprochement (BAR).
LA COMMISSION « VIOLENCES / VIGILANCE » AU SEIN DU CONSEIL DE L’ORDRE DES MÉDECINS Votre Conseil départemental de l’Ordre des Médecins du Tarn se veut un Conseil de proximité. Vous pouvez téléphoner au 05.63.54.08.86 – sauf le vendredi après-midi et le samedi) nous pourrons vous renseigner et/ou vous orienter vers un des membres de la Commission afin de vous aider en cas de nécessité ou de questions particulières que vous pourriez vous poser à ce sujet.
Nous espérons que ce résumé, des recommandations du Conseil National de l’Ordre des Médecins, pourra vous être utile. Le choix du signalement sans l’accord de la victime reste un choix délicat et difficile. Ne pas signaler, si vous possédez des éléments qui vous interpellent au sujet de violences subies par votre patiente ou votre patient, risque de mettre votre responsabilité en jeu en cas de passage à l’acte. Encore une fois nous restons à votre disposition.
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